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14 juillet 2013 7 14 /07 /juillet /2013 16:04

Il y a quelque temps, nous avons toutes les deux participé à un challenge lancé par les Éditions Elenya : écrire une petite nouvelle en moins de 24 h. Le sujet étant envoyé aux participants le jour même de l’événement.

 

Le thème était donc d’écrire une histoire de la veine steampunk dans une époque futuriste proche du XXIe siècle, mais avec ses airs du XIXe. En plus de cela, il y a deux contraires : placer dans le récit une créature légendaire ainsi qu’une formule magique.

Le tout à écrire en 24 h (c’était le principe de base) et en moins de 18 000 signes.

 

C’est sans surprise qu’aucune de nos nouvelles n’a été retenue. Cependant, nous vous proposons de vous les faire découvrir.

Vous pouvez donc les lire directement sur le blog ou télécharger les versions PDF.

 

Nous vous invitons également à laisser vos avis dans les commentaires. Soyez honnêtes et n’hésitez pas non plus à dire quelle nouvelle vous préférer.  

 

Bonne Lecture

Que la Vapeur soir avec vous !

 

La première nouvelle est celle de Salyna : Contre flots et vapeurs

La seconde nouvelle est celle de Xian : Vengeance

 

Contre flots et vapeurs

De Salyna Cushing-Price

 

 

 Mélior se tenait droite sur le pont de son navire. C’était une merveille de technologie : trois cheminées à vapeur, quatre ponts et deux batteries de canons. Dans la cale, les machines tournaient à plein régime et crachaient des bouffées de fumées jaunes. Les petites bactéries faisaient bien leur travail. Enfermées dans des grandes cuves munies de pistons, elles produisaient un gaz révolutionnaire nécessaire pour la combustion de l’hydrogène. La réaction produite faisait augmenter la pression qui activait les injecteurs des moteurs. D’immenses engrenages faisaient ensuite tourner les roues à aubes du pyroscaphe, lui permettant d’avancer à une grande vitesse sur les flots. Elle était fière d’en être la capitaine. Avec la montée des eaux, la marine avait beaucoup recruté de jeunes personnes pour former les nouveaux dirigeants des Océans. De plus, la découverte de ces bactéries, permettant de produire un combustible efficace et infini, était une révolution dans l’industrie. Des progrès phénoménaux avaient été faits dans tous les domaines. Toute l’ancienne technologie avait laissé place à cette nouvelle ère de gaz

 

La jeune femme observait la mer, ses cheveux roux lui tombaient sur les épaules et les mèches de sa frange venaient parfois lui brouiller la vue. Sa silhouette trapue contrastait avec les hautes tours élancées des cheminées à vapeur. De ses yeux verts, elle guettait l’horizon. Elle savait que l’ennemie ne devait pas être loin. La dernière fois qu’elle avait croisée le chemin de Capucine la Terrible, Mélior avait perdu une partie de sa flottille d’accompagnement, mais avait réussi à porter un coup décisif à son adversaire. Elle avait envoyé par le fond le plus gros de ces navires, rendant son ennemie vulnérable. Mais les navires restants étaient tout aussi dangereux, car ils étaient plus rapides et plus facilement manœuvrables. Elle ignorait également si ces petits bateaux étaient uniquement à voile simple ou ayant le système de propulsion par gaz bactérien… Cette différence pouvait s’avérer importante dans la stratégie à adopter. 

Mélior se pencha sur les rambardes des ponts avant de glisser devant son œil son monocle à vision subaquatique. Plusieurs épaisseurs de verres se superposaient selon la profondeur à laquelle elle désirait voir. Elle voulait vérifier que son protecteur était là. Elle chercha pendant quelque instant avant d’apercevoir à une dizaine de mètres sous l’eau une très longue silhouette noire glissant sous le navire. Au cas où les choses tourneraient mal… Ou que Capucine fasse appel à d’obscures forces pour remporter la victoire. Elle était prête à tout pour gagner.

 

Le temps était clair et ensoleillé et jamais Mélior n’aurait pensé se faire prendre par surprise. Pourtant, les trois petites chaloupes de Capucine surgirent de nulle part, fonçant en zigzague vers le pyroscaphe. Les petits mats, servant aussi de cheminée à vapeur, crachaient à pleins poumons. Les bacs contenant les bactéries étaient accrochés comme deux tonneaux à l’arrière des barques. Les voiles étaient toutes déployés pour faciliter encore un peu plus la propulsion. Capucine était à l’avant d’un des canots lunettes antibrouillage sur les yeux et son tube à oxygène sortant de sa bouche pour l’aider à respirer. Ses problèmes respiratoires étaient bien connus et en faisaient un grave désavantage si elle tombait à l’eau. Comme toujours, ses cheveux blonds vénitiens étaient attachés en deux couettes qui remuaient en même temps que le roulis des vagues.

Sans plus attendre, la capitaine Mélior donna l’ordre de faire tirer la première batterie de canons. Les embarcations ennemies étaient petites et très mobiles et donc difficiles à atteindre. Seule l’une d’entre elles fut légèrement touchée, stoppant sa progression, mais ne l’envoyant pas par le fond. Une longue trainée jaune se déversa dans la mer : le compartiment à bactérie avait été touché. Une deuxième salve fut lancée et le coula cette fois-ci. Mélior ajouta un second monocle au premier afin de les transformer en longue-vue, afin de voir si sa coriace adversaire s’y trouvait ou non sur cette épave. Elle eut vite la réponse lorsqu’un violent tremblement fit dangereusement tanguer son navire.

La jeune femme observa frénétiquement les alentours afin de voir où se trouvaient les deux autres canots. L’un d’eux était passé à tribord et venait de faire sauter une des roues à aubes. Le navire ne serait plus aussi bien manœuvrable et devenait donc une proie facile. Elle n’allait quand même pas se faire battre par deux minuscules canots de l’ère crétacée alors qu’elle avait l’un des plus beaux navires du monde ? Elle ordonna à ce qu’on lance le bâtiment à toutes vapeurs afin de gagner un peu de vitesse et de préparer à nouveau les canons pour un feu croisé.

Les boulets pulvérisèrent une seconde embarcation. Celle-ci vola littéralement en éclat dans un nuage jaunâtre. Fière de sa réussite, Mélior se mit à rire aux éclats. Sa victoire était proche. Sa joie fut stoppée lorsqu’un énorme tourbillon bouillonnant se forma à quelques encablures du pyroscaphe. Un maelstrom se formait et aspirerait en son sein tout ce qui naviguerait à sa portée. La panique envahit la Capitaine. Avec une roue en moins, elle n’était pas sûre de pouvoir éviter l’engloutissement. Elle tapa du poing et hurla ses ordres. Il fallait rapidement sortir les rames de secours. De petites trappes s’ouvrirent sur le côté où la roue avait été déchiquetée et d’immenses pagaies en sortirent. Le raccordement avec les soupapes à bactéries prendrait trop de temps, il fallait ramer manuellement. C’était une tâche difficile que de faire tourner à la seule force des bras les immenses mécaniques. Il faudra pourtant tenir un moment. C’était de toute façon ça ou périr. La lutte ne fut pas veine, car le navire s’éloigna doucement du danger au fur et à mesure que les rames se raccordaient aux cuves à pression. Mélior put voir Capucine bouillir de rage sur son canot. Jouissif. La Terrible n’avait pas prévu cet équipement rudimentaire de secours, mais elle n’était pas à court d’idée pour autant.

C’est à ce moment que se produisit l’impensable. Un immense serpent de mer sorti du maelstrom. La colère et la frustration de Mélior dépassèrent toutes les bornes ! Comment voulez-vous lutter contre ça ! Elle hurla de charger à nouveau les canons avec des boulets de tailles supérieurs et de viser juste. Au fur et à mesure que la créature émergeait, elle devenait une cible facile. La salve la toucha de plein fouet, mais les boulets rebondirent sur son corps mou et visqueux. La jeune femme tapa du pied sur le pont. Malheur ! 

Le serpent géant leva sa longue et lourde queue et l’abattit sur le navire. Une des cheminées s’effondra. Le pont fut recouvert d’une épaisse fumée obstruant toute vue !

 Il fallait réagir et vite ! Capucine voulait jouer à ce petit jeu là ? Très bien ! Mélior ne voulait pas en arriver à de telles extrémités, mais elle n’avait plus le choix ! Il était temps pour elle d’invoquer le Kraken !

 

Elle leva les mains et invoqua son protecteur. Sortant des abysses, les tentacules gigantesques du monstre fouettèrent les flots. Les remous provoqués par le poulpe géant étaient dix fois supérieurs à ceux provoqués par le serpent. Le pyroscaphe tangua dangereusement, brisant même la deuxième cheminée. C’était le tout pour le tout. Il était surprenant que l’embarcation ennemie ne chavire pas. Mais Capucine était une marin avertie et savait prendre les vagues, même les plus scélérates.

 Mélior ne pouvait pas voir son ennemie à cause de la fumée rependue sur le pont, mais elle se doutait que celle-ci devait être blême. Car elle n’avait pas invoqué n’importe quel kraken, mais le Roi des Krakens : Cthulhu.

La créature se dressa, immense Dieu parmi les humains et se mit à réciter : « Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn. Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn ».

La victoire était proche pour Mélior lorsque que…

 

— Non ! Non ! Mélior tu triches ! C’est pas juste !, couina Capucine, avec sa voix fluette d’enfant, et donnant un grand coup de poing dans l’eau. T’as pas le droit d’invoquer le Cthulhu ! 

— C’est toi qu’as commencé ! T’es qu’une mauvaise joueuse ! Rétorqua sa sœur jumelle en renversant d’un revers de main les petits bateaux de bois qui flottait à la surface pleine de mousse de la baignoire.

— Mamaaaaaaaaaaaaaaaaaan ! »

La petite fille sortit l’eau en pleurant, courant cul nu voir leur mère et laissant des tas de petites traces de pieds sur le carrelage de la salle de bain.

 

Vengeance

De Xian Moriarty

 

En France, 2031, Troisième Empire.

 

Assisse dans le train à vapeur qui la montait à Paris, la jeune Eugénie savourait déjà sa vengeance. Oh oui, pendant des mois, elle avait imaginé ce qu’elle pourrait faire subir à Napoléon X, Empereur de France et d’Angleterre, et à son époux Andrew, le duc d’York. Accusée de luddisme[1] et de haute-trahison, elle avait été envoyée, sans autre forme de procès, dans un centre de redressement à vocation militaire. Elle n’était qu’une enfant bordel !

La vie dans l’établissement avait été dure ! Une discipline de fer, une rigueur inoxydable, une ambiance déplorable. Une mécanique bien huilée. Si les autres demoiselles étaient parfois « charmantes », les garçons méritaient d’être tous fusillés. Déjà soldats dans l’âme, ils n’espéraient qu’impressionner avec leurs gros fusils à pompe à air comprimé. Et ce qu’Eugénie détestait encore plus, tous témoignaient un certain mépris pour la Nature. Personne ne pouvait la comprendre, elle, qui aurait tant voulu devenir jardinière…

Heureusement, deux choses avaient égaillé sa vie militaire. La première fut les cours d’ingénierie et de mécanique. Monter, démonter, assembler, désassembler des appareils et instruments la transportait. Souvent, elle imaginait comment elle pouvait détourner une arme en un outil pour le travail de la terre. Elle parvint d’ailleurs à subtiliser de nombreuses pièces pour tenter de créer ce que sa tête lui dictait.  Peu de ce qu’elle construisit marcha. Étrangement, elle eut plus de chances quand il s’agissait de fabriquer des gadgets pour s’éclipser discrètement : lunette grossissante, roller à propulsion. Sa plus grande réussite était le grappin et le filin d’acier qu’elle avait réussi à miniaturiser et à cacher dans sa ceinture. Classique, mais suffisamment esthétique pour passer inaperçu. Mais, elle avait aussi réussi à modifier un fusil pour en faire une arme dévastatrice. L’outil de sa vengeance !

            Les paysages s’enchainaient derrière les vitres du wagon. Eugénie les trouvait parfois superbes, parfois horribles. Elle aimait les montagnes, comme les Alpes. Par contre, elle détestait quand le ciel devenait noir charbon. Les usines produisaient énormément de fumées noires dues à la combustion de la houille. Parfois, elles apercevaient ces villes industrielles qui polluaient sans vergogne l’air. Quand son train se stoppa à la gare du Creusot, elle observa avec attention ce lieu si mythique, avec ses innombrables cheminées en brique rouge. Sur les quais, de très belles machines à vapeur faisaient office de petit musée sur l’histoire de cet endroit. On y voyait l’évolution des machines à vapeur.

 

Le train se remplit énormément à la gare. De très nombreuses personnes remontaient vers Paris. Personne ne vint s’installer à côté d’Eugénie, mais seulement en face. Heureusement ! Elle n’avait nullement envie de devoir prendre la cage de son fidèle compagnon sur ses genoux. D’ailleurs, ce dernier n’aurait pas vraiment apprécié. Être enfermé, nu selon ses dires, était pour lui quelque chose d’insupportable, pour ne pas dire humiliant. Et pour couronner le tout, il ne devait pas parler !

— Oh, quel bel animal, dit la femme d’affaires sur la banquette opposée ! C’est un hibou ? De quel genre ?

À ces mots, Grincheux, nom que lui avait donné Eugénie, s’ébouriffa à défaut de pouvoir vilipender la voyageuse. Lui, un vulgaire volatile ? Que nenni ! Il était un dûphon ! Un fier guerrier des temps anciens, réputé pour sa férocité et son ardeur aux combats. Malheureusement, dépouillé de son armure et de ses armes, il ressemblait à un hibou grand-duc. Eugénie répondit poliment, en mentant : son compagnon dûphon appartenait à une espèce déclarée disparue.

— Vous vous en servez pour chasser les rongeurs dans les fermes, les usines ? C’est un animal difficile à capturer, mon garçon, comment avez-vous donc fait ?

Avec ses cheveux cachés dans sa gavroche, sa chemise de lin et son paletot de cuir, elle avait tout l’air d’un jeune ouvrier qui rentrait vers la capitale. Un sentiment de soulagement l’envahit. Si on ne la reconnaissait pas, il serait facile pour elle d’évoluer à Paris. Son visage était tellement connu. Elle renseigna gentiment son interlocutrice, mais ces questions commençaient à la gêner. Eugénie voulait être au calme pour finir d’envisager toutes les possibilités de sa vengeance. Grincheux, contrarié d’être enfermé et condamné au mutisme, hérissa toutes les plumes de son corps en hululant. Ce comportement agressif fit taire la femme d’affaires. Elle dut comprendre que l’animal supportait mal le voyage.

 

Plus le convoi approchait de Paris, plus l’air prenait une odeur particulière. Cela fait longtemps que toutes les usines autour de la ville avaient été excentrées pour faire baisser la pollution. Malheureusement, l’expansion urbaine avait fini par rattraper les zones industrielles. Seules les banlieues les plus éloignées du centre empestaient la fumée de houilles. Le « vieux » Paris, celui de l’époque de Napoléon III, était épargné : le ciel y était donc bleu et l’air respirable. Eugénie détestait ces odeurs. Heureusement, les senteurs charbonneuses commencèrent à se dissiper aux alentours de Melun. Dans un peu plus d’une heure, elle serait enfin à la capitale.

Il faisait beau ! Une aubaine pour elle. Sa vengeance ne pouvait être accomplie que la nuit, c’est avec plaisir qu’elle pourrait profiter de son temps libre pour parcourir la ville. Elle pourrait même aller flâner dans le quartier des Halles avant de gagner le Louvre, le lieu de résidence de ses victimes.

            Eugénie laissa descendre les autres passagers du train avant de sortir. Grincheux se montrait impatient. Il avait hâte de sortir de sa cage. Sa jeune maitresse lui avait promis de le laisser sur son épaule une fois à Paris. Malheureusement, il ne pourrait pas récupérer son armure avant que toute cette histoire soit finie.

Les rues étaient très animées, comme toujours. Les voitures à vapeurs crachaient leur fumée blanche à la figure des cyclistes de grands bis et des pétrolettes à charbon. Des zeppelins publicitaires survolaient les rues. Certains criaient des slogans pour le dernier modèle de lunettes astronomiques. Les trolleys mécaniques roulaient dans les sillons du bitume, propulsé par les rouages sous terrains.

Avant de louer un grand-bi, la jeune femme enfonça sa gavroche sur sa tête. Elle ne voulait vraiment pas prendre le risque d’être reconnue. Sinon, c’est une armée de cavalier, les seules personnes autorisées à monter des cheveux en villes, qui accourraient pour se saisir d’elle. Heureusement, le commerçant la regarda à peine.

Grincheux étira ses larges ailes et se secoua les plumes. Enfin libre ! Il s’installa sur les épaules de sa maitresse.

— Aie, tu me griffes !

— Je n’ai pas assez de place ! Tu n’avais qu’à avoir des épaules plus larges !

Eugénie lui lança un regard noir. Son ami à la langue bien pendue avait attiré l’attention sur elle. Sans s’occuper des gens qui observaient le volatile, elle quitta la gare en direction des halles en longeant la Seine.

— Fais un peu attention quand tu ouvres ton bec ! Les hiboux ne sont pas censés parler.

— Je ne suis pas un de ces stupides volatiles !

— Oui, je sais ! Mais les autres non ! Dois-je te rappeler que tu es une espèce classée disparue depuis des siècles ?

— Et je devrais être mort ! Si tu n’avais pas un cœur de poulet…

Eugénie soupira. Elle avait trouvé ce curieux compagnon une nuit, alors qu’elle était sortie en douce de sa chambre pour parcourir les bois qui entouraient son centre de détention. Pris dans un filet, le guerrier oiseau agonisait depuis des jours, car il avait été dans l’impossibilité de s’en dépêtrer. Ce sauvetage avait blessé son orgueil, mais son honneur l’avait poussé à faire allégeance à celle qui lui avait sauvé la vie.

            Toute la journée, Grincheux ronchonna. Comme toujours. Ce charmant personnage s’acharna particulièrement sur les tenues vestimentaires des hommes. Où étaient donc les cottes de maille ? Les plaques d’armures et les tabards ? Les épées et les boucliers ? Ces tenues à jabots, ces chaines dorées ou argentées, ces chapeaux haute-forme et melons, ces cannes ! Quelle horreur ! Il n’appréciait pas davantage les garde-robes des dames. Trop complexe. Eugénie, elle, portait quelque chose de simple et de correct.

Tandis que son compagnon maugréait, Eugénie observait régulièrement sa belle montre à gousset. Un cadeau de ses parents. Un très bel ouvrage qui valait une petite fortune.

 

            À la nuit tombée, la ville était gagnée par un étrange silence. Les trolleys cessaient de fonctionner, les voitures à vapeurs interdites de circulation. Seuls les pas de la police montée résonnaient sur le bitume.

Dès que le soleil avait disparu, Eugénie s’était rendue aux alentours du Louvre. Elle savait très bien comment entrer sans se faire voir. Pendant des années, elle avait étudié les horaires des rondes. C’est donc sans difficulté qu’elle parvint à passer la grille de fer forgé qui entourait le palais du Louvre, celui des Tuileries et les jardins.

Plus que jamais, son envie de vengeance était puissante. Comment avait-on pu l’envoyer là-bas, sans plus de compassion ? Seulement pour un peu d’alcool dans les moteurs à vapeur. L’empereur Napoléon X et son époux avaient largement les moyens de renouveler leur parc automobile détruit…

Planant au-dessus de sa maitresse, Grincheux vérifiait qu’aucun garde n’était présent. Il ne fallait surtout pas qu’elle se fasse repérer. Mais la jeune femme semblait parfaitement savoir où elle allait. Sans aucune difficulté, elle se faufila jusqu’à une façade. Elle vérifia que personne n’était alentour. Son dûphon lui confirma qu’ils étaient seuls.

            Un immense sourire illumina son visage quand elle sortit le grappin de sa ceinture. D’une main habile, elle lança le câble vers les toits. Les griffes s’accrochèrent sans mal. Il n’y avait plus qu’à grimper. L’entrainement militaire avait au moins eu ça de bon. Mais son entrée discrète faillit être interrompue par un soldat. Ce dernier n’avait rien à faire ici à cette heure-là. Et pour cause : ce dernier venait tranquillement se soulager ! Élégant ! Grincheux lui fonça dessus pour l’éloigner. Toutes serrent dehors, il fit si peur à son adversaire que celui-ci détala sans demander son reste.

— On dirait qu’il y a des failles dans ton plan d’intrusion, se moqua le volatile en se posant sur une corniche.

— Comment voulais-tu que j’imagine qu’un militaire vienne se délester ici ?

Eugénie se hissa jusqu’à une fenêtre. Ouvrant sa besace, elle sortit une petite bague ainsi qu’une petite ventouse. Elle allait faire une ouverture dans le verre avant d’ouvrir le loquet.

Comme dans les romans !

 Malheureusement, elle commit une maladresse et le bijou tomba. Elle se retint de ne pas pousser un juron. Grincheux gloussa comme une dinde dans son coin.

— Zut ! Comment que vais faire moi maintenant ? Sans lumière, je ne la retrouverai jamais ! Vingt ‘dieux ! J’y tenais moi à cette bague !

— Laisse-moi t’aider, intervint le dûphon. Colle ton machin.

Le volatile vint s’installer près de la jeune femme. Il commença à hululer d’une manière étrange qu’Eugénie n’avait jamais entendue. C’était doux et harmonieux, presque un chant. Le bec de son compagnon devint phosphorescent. Grincheux le posa sur le verre et découpa la vitre sans aucune difficulté. Une fois cela fini, il lança un regard snob.

— C’était quoi ça ? Une formule magique ? Depuis quand tu fais des choses comme de ce genre ? Je croyais que ceux de ton espèce n’utilisaient pas de magie.

— Il semblerait que ton peuple ignore bien des choses sur nous.

— Tu aurais pu me le dire.

— Tu ne me l’as pas demandé.

  La jeune femme n’insista pas. Grincheux aimait avoir le dernier mot, cette conversation pourrait durer des heures.

Après avoir ouvert la fenêtre et être entrée dans une chambre, Eugénie se colla à la porte. Son oreille plaquée au battant, elle écouta. Rien.

— Tu as de la chance que cette pièce soit vide ! Imagine qu’un invité ou que n’importe qui ait été présent.

— Je savais qu’il n’y aurait personne.

— Et comment ?

— Je t’en pose des questions moi ? Ce n’est pas le moment !

            À pas de loup, Eugénie longea les couloirs allumés par de nombreux becs de gaz : une mesure de sécurité pour repérer les intrus. La bonne blague ! Personne ne l’avait vu entrer ni se faufiler.

Elle était dans la partie privée du Louvre, là où se trouvaient les appartements de l’empereur et de sa famille. La chambre à coucher de Napoléon X n’était plus très loin.

La jeune femme sentit l’excitation à la gagner. Elle était si proche de son but, de sa vengeance. Tout en gardant un œil sur le couloir, elle sortit de sa besace diverses pièces de métal qu’elle assembla. Son arme ! Enfin, elle la montait. La seule et unique munition pesait très lourd !

            Doucement, elle entra dans la chambre. Une raie de lumière illumina le lit des époux. Eugénie trouva cela presque mignon de voir ces deux hommes enlacés, dormant tranquillement. Mais cela n’ébrécha pas sa détermination. Vengeance !

Elle entra dans la pièce et grimpa sur le coffre, au pied du lit. Grincheux, installé sur une chaise dorée, observait la scène qu’il trouvait… pitoyable. Cette fille n’avait décidément rien d’un guerrier.

Son cœur se serra. Enfin, ils allaient payer ! 

Elle pointa son arme sur Napoléon X. Il serait le premier à subir ses foudres !

— WATER L’EAU!!!!!!!!!!!!! hurla-t-elle tout en tirant.

Les deux princes endormis n’eurent pas le temps de comprendre ce qui se passait qu’ils étaient déjà trempés. La jeune femme bondit sur le matelas au milieu des hommes tout en tirant une nouvelle salve ! Un puissant jet d’eau sortie de son arme. Andrew, le duc d’York, reçut le liquide en pleine face. Cela le fit basculer et il tomba du lit. Constatant sa première victoire, Eugénie se retourna vers le second homme. Malheureusement, elle ne put le faire choir, car son tir se sécha. Sa cartouche d’eau n’était pas assez grosse.

Reprenant leur esprit, les deux hommes bondirent sur leur pied. Malgré la peine-ombre et l’agression qu’ils venaient de subir, ils reconnurent leur agresseur.

— Eugénie ! s’étonna Napoléon. Que fais-tu donc ici ? Qu’est-ce qui t’as pris ? Nom de dieu !

Le duc d’York alluma sa lampe de chevet.

— Moi aussi je suis contente de te voir Papa ! Jamais je ne retournerai dans cette école miliaire ! Je viens de vous prouver que je n’ai pas besoin d’être là-bas !

— Comment es-tu entrée ? insista son premier père.

— Par la fenêtre de ma chambre.

— Tu vois bien que j’avais raison quand je te disais qu’il fallait mettre des barreaux à sa fenêtre ! N’importe qui aurait pu s’en prendre à elle, c’est l’héritière, bloody hell ! Mais tu nous as fait une peur bleue, dit le duc d’York soulagé.

— J’ai trouvé cela très chouette, Dad’ ! répondit-elle avec un sourire narquois et de victoire sur les lèvres.

Grincheux se tapa la tête contre le dossier de son perchoir…Il avait horreur de cette expression !

 

[1] Luddisme : mot issu d’une révolution d’ouvriers anglais au début du XIXe siècle qui détruisirent leur machine.

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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 09:20

Au tour de Xian Moriarty de vous proposer une nouvelle.

Elle reprit un poème d'Edagr Allan Poe qu'elle adore, The Raven, qu'elle a adapté en nouvelle. Pour cela, elle s'est inspirée des traductions de Baudelaire et  Mallarmé.

 


Le Corbeau.

 

 

            Un soir, par une lugubre nuit d’un décembre glacial, une tempête s’abattit sur un sombre manoir. De chacune de ses anciennes pierres suintaient des pleurs qui se mélangeaient aux funestes flocons de neige.

Seule, une fenêtre affichait une faible lumière. Les rideaux de soie pourpres laissaient passer les lueurs que dégageait chaque tison dans une cheminée bien plus ancienne que la demeure elle-même. Dans cette triste chambre, l‘ombre d‘un fauteuil se dessinait. Un homme, les cheveux bruns en bataille, somnolait au-dessus d’un ancien volume d’une très vieille doctrine aujourd’hui oubliée. Il reposait sur un siège à coussin de velours violets. Des livres de toute sorte parsemaient ses pieds, d’où l’homme avait vainement tenté de mettre en sursis sa tristesse.  Doucement, il essayait de garder la tête haute, mais le sommeil semblait avoir raison de lui. Le malheureux ne souhaite point rejoindre le monde des rêves, de peur d’y voir celle que les anges nommaient Lénore. Il espérait secrètement voir venir le matin.

 

            Soudain, il entendit un tapotement, presque inaudible, un peu comme quelqu’un qui frappe à la porte. Ce léger bruit empêcha Morphée de le prendre dans ses bras.

« _Cela doit être quelque visiteur qui frappe à la porte de ma chambre. Cela ne peut rien être de plus. » Se murmura-t-il.

Son cœur battait fort. Le tapotement et les fins bruissements des rideaux, soufflés par les caresses du vent qui pénétrait par la vieille fenêtre, l’avaient empli de terreurs fantastiques, inconnues pour ceux qui ne se trouvaient pas au seuil de la Mort et du Désespoir.

Le tapotement se refit alors entendre.

C’est doucement qu’il se leva de son siège, et lentement, encore aux prises avec le sommeil, s’approcha de la porte de sa chambre.

« _Monsieur, ou Madame » dit-il « Je vous pris de bien me pardonner. Mais je m’endormais et vous frappiez si doucement à la porte que je n’étais pas sûre qu‘il fût réel. »

 

            Il ouvrit alors la porte : ce ne fut que les ténèbres.

L’homme fut étonné de n’y voir personne. Son regard se pencha sur le sombre couloir qui menait à sa chambre. Il se mit à penser de choses que personne n’avait osé penser jusqu’à maintenant. Une crainte, un doute l’envahit. Le silence ne fut brisé que lorsqu’il se risqua à chuchoter un nom, celui que son cœur pleurait : Lénore. Mais ce ne fut rien de plus que l’écho du lugubre couloir qui lui répondit.

Refermant la porte de sa chambre, il entendit de nouveau le tapotement, mais cette fois, plus fort que le premier.

« _Sûrement qu’il y a quelque chose à ma fenêtre. »

            L’homme patienta un instant que son cœur redevienne calme, puis alla découvrir quel mystère se trouvait à sa fenêtre.

Il poussa le volet. En même temps qu’une bourrasque de vent accompagnée de flocons de neige, entra dans la pièce un majestueux corbeau digne des anciens jours, dans un tumultueux battement d’ailes. C’est sans hésitation, avec la droiture d’un lord ou d’une lady qu’il se percha sur un buste de Pallas, au-dessus de la porte de la chambre. Il s’y installa, et rien de plus.

            L’homme esquissa un sourire. Son imagination l’y poussant à cause de la gravité du maintien et la sévérité de la physionomie de cet oiseau d’ébène.

« _Bien que tu n’ais ni huppe ni cimier, tu n’es pourtant pas un poltron, ô ancien et lugubre Corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi donc quel est ton seigneurial nom, venu des rivages de la nuit plutonienne. »

Le corbeau dit alors : « Nevermore* »

 

            C’est l’émerveillement qui prit possession de l’homme.  Émerveillé par le fait qu’un aussi disgracieux oiseau puisse être doté aussi facilement de la parole. Mais sa réponse de lui ne fut pas d’un grand secours et ne semblait avoir aucun sens.  Aucun homme vivant n’avait eu l’occasion d’avoir un si sinistre oiseau, perché au dessus de la porte de sa chambre, portant le nom de « Nevermore ».

            L’animal ne dit plus aucun mot ni ne remua une plume, jusqu’à ce que l’homme se mette à lui parler à nouveau.

« _ D’autres amis se sont déjà envolés avant moi. Toi aussi tu me quitteras lorsque le matin apparaîtra et tu t’envoleras comme mes anciennes espérances. »

Le Corbeau répondit alors.

« _Nevermore. »

 

            La réponse fit tressaillir son auditeur tant elle avait été jetée avec à-propos.

« _Sans doute, » pensa l’homme « qu’il prononce ce qu’un infortuné maître lui a appris, et que le Malheur l’a impitoyablement poussé sous mes fenêtres en ce sinistre jour. »

            Un sourire s’esquissa de nouveau sur son visage. Il tourna son siège à coussins de velours vers la porte de sa chambre, pour pouvoir contempler cet étrange invité. S’assaillant profondément, il se mit à enchaîner les idées, cherchant à savoir ce que cet augural, disgracieux, sinistre, maigre oiseau voulait lui faire entendre avec son « Nevermore. »

Sa tête reposait sur un coussin. Il regardait le Corbeau dans ses yeux brillants des reflets des tisons de la cheminée. Mais il ne lui adressait plus un mot, pas une syllabe.

            Alors, il lui sembla que l’air s’emplissait de l’odeur d’un encensoir invisible que balançaient de majestueux Séraphins, dont les pieds frôlaient le tapis de la chambre.

« _Infortuné ! » s’écria-t-il  «  ton Dieu t’a envoyé par ses anges de quoi oubliés cette Lénore perdue ! Bois, oui bois ce népenthès** »

Le Corbeau répondit alors : « Nevermore ».

 

            « _Prophète, être de malheur ! Oiseau ou démon ! Mais toujours prophète ! Que tu sois en envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hantée; dis moi, sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis-le-moi, je t’en supplie ! »

Le Corbeau répondit : « Nevermore ».

            L’homme se leva de son siège, les yeux mêlés de larmes et de colère. Il s’avança vers le sinistre et lugubre oiseau.

« _Prophète, être de malheur ! Oiseau ou démon ! Toujours prophète ! Par ce ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les archanges nomment Léonore ? »

Le Corbeau répondit : « Nevermore ».

 

            « _Que ta réponse soit le signe de notre séparation ! Oiseau ou démon ! Retourne dans la tempête qui te mena à moi, vers les rivages de ta nuit plutonienne ! Ne laisse pas une seule de tes plumes noires ici, comme le mensonge que ton âme a proféré ! Laisse ma solitude intacte ! Quitte ce buste au-dessus de ma porte ! Arrache ton bec de mon cœur et prend cette tristesse loin de mon cœur ! »

Le Corbeau répondit : « Nevermore ».

            Le sinistre volatile, toujours installé sur le buste de Pallas au dessus de la porte de la chambre, a les yeux du brillant d’un démon qui rêve. La lumière des tisons coule vers lui, projetant son ombre sur le plancher. Hors du cercle que dessine cette ombre, un homme resta là immobile sur le sol. Et son âme, perdue dans la tristesse, ne s’élèvera jamais plus.

 

           

Fin

 

 

 

*Traduit par « Jamais plus » par C. Baudelaire.

** Népenthès : chez les Grecs antiques,  le népenthès était une potion magique sensée dissipée les chagrins et procurer l’oubli. 

 

             

              

 

 

 

 

 

 

 

 

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